La justice reconnait un lien de subordination entre Take Eat Easy et un coursier à vélo
Un ancien travailleur de Take Eat Easy — une entreprise belge de livraison de repas qui a fait faillite en aout 2016 — a attaqué son ancien employeur aux Prudhommes dans le but de faire reconnaitre un lien de subordination le liant à la plateforme numérique. En dépit du fait que cette personne travaillait sous le statut d’autoentrepreneur, après examen de son cas, la Cour de cassation a estimé que les conditions liant l’entreprise au travailleur ne permettaient pas d’« écarter la qualification de contrat de travail » et a ordonné un nouveau procès en appel. Le point sur cette affaire et sur les conséquences qu’elle pourrait avoir sur le droit du travail.
Rappel des faits
Lorsqu’elle était toujours en activité, tous les livreurs à vélo travaillant via la plateforme numérique Take Eat Easy avaient l’obligation de créer un statut d’autoentrepreneur. De ce fait, lors de sa liquidation en août 2016, 2 500 personnes qui travaillaient via la plateforme se sont retrouvées sans rien du jour au lendemain, en raison de leur simple contrat de prestataire de service, qui ne protège pas les salariés comme le ferait un contrat de travail.
Un des anciens livreurs de l’entreprise a toutefois saisi les Prudhommes et tenté de faire requalifier son contrat de prestataire de service en contrat de travail.
« Le conseil de prudhommes puis la cour d’appel s’étaient déclarés incompétents », a rappelé la Cour de cassation. Pour la cour d’appel de Paris, cette déqualification en contrat de travail n’était pas justifiée, car « le coursier n’était lié à la plateforme numérique par aucun lien d’exclusivité ou de non-concurrence et qu’il restait libre chaque semaine de déterminer lui-même les plages horaires au cours desquelles il souhaitait travailler ou de n’en sélectionner aucune s’il ne souhaitait pas travailler ».
Mais au contraire pour les juges de la Cour de cassation, le système de géolocalisation dont est équipé le livreur qui permet à l’entreprise de savoir en temps réel où il se trouve, et la possibilité de l’entreprise de sanctionner son « prestataire » ne permettent pas d’« écarter la qualification de contrat de travail ».
Une avancée importante pour les livreurs qui travaillent par le biais des plateformes numériques
« Cet arrêt a le mérite de dire les choses clairement : il n’y a pas antinomie entre contrat de travail et travailleurs des plateformes », a déclaré à l’AFP Manuela Grévy, l’avocate du livreur et de la CGT à la Cour de cassation. « L’arrêt montre qu’il faut regarder au cas pas cas », a-t-elle ajouté.
« C’est une décision très importante », selon Gilles Joureau, un avocat qui a défendu aux prudhommes une douzaine de coursiers de Take Eat Easy, qui ont tous perdu leur procès jusqu’ici. « Cet arrêt couronne un long combat pour la reconnaissance du lien de subordination ».
Même satisfaction pour Kevin Mention qui conseille aux prudhommes une centaine d’anciens livreurs Take Eat Easy, dont aucun n’a eu « d’issue favorable » jusqu’à présent. « On ne peut que se féliciter d’un tel arrêt », qui va « faire jurisprudence », a expliqué Me Mention, jugeant « qu’à partir du moment où la Cour de cassation considère qu’il y a subordination, on ne peut plus faire autrement que de reconnaître l’existence d’un contrat de travail ». C’est une nouvelle encourageante pour les 119 personnes qui ont déposé plainte au pénal contre Take Eat Easy pour travail illégal et dissimulé que Me Mention accompagne également.
« Take Eat Easy ayant fait faillite, le statut de salarié est le seul permettant de récupérer des dommages et intérêts et des salaires non versés », a-t-il précisé.
La CGT déjà prête à négocier sur les « droits et le statut » des travailleurs des plateformes numériques
Pour la CGT, cet arrêt représente « une immense victoire pour tous les travailleurs “uberisés”, qu’ils soient livreurs à vélo, chauffeurs VTC ou tant d’autres puisqu’ils peuvent, désormais, faire reconnaître leur statut et leurs droits fondamentaux de salariés ».
Le syndicat a d’ores et déjà demandé « au gouvernement et au patronat des plateformes de se réunir avec les organisations syndicales pour, enfin, négocier de vrais droits adaptés aux conditions de travail difficiles de ces salariés ».
Pour Me Grévy, l’avocate du livreur, « il est évident que cela va conduire les plateformes et peut-être le législateur à réfléchir à la question du statut de certains de ces travailleurs dans les plateformes » et potentiellement améliorer dans le futur leur statut et leur protection.